mardi 13 janvier 2015

La Nausée


Alors laissez moi vous dire que je suis quelque peu déçue et contrariée. On est arrivés au Mexique, le titre de mon article à ce sujet était tout trouvé, je voulais vous servir un "Welcome to Tijuana" de circonstance, et le 7 janvier a tout gâché. Alors voilà, à cause de la connerie humaine qui n'a définitivement pas de limite, il n'y aura pas de musique accompagnant cet article.
Mercredi 7 janvier 2015, on se réveille dans un motel de San Ysidro, ville frontière côté USA, duquel on aura entendu siffler le train toute la nuit. Au petit dèj, on nous parle  très vaguement d'un attentat à Paris. On ne cherche pas a en savoir plus, il est 7h30, on a une frontière à passer à vélo qui n'est pas réputée très sereine.
Pour faire court, la frontière San Ysidro-Tijuana est d'un genre particulier. Faut comprendre que dans le sens USA-Tiers Monde, tu peux passer la frontière en quelques minutes, sans même rencontrer un seul douanier. C'est à toi de demander où se trouve le bureau de l'immigration pour avoir droit à ton tampon si tu ne comptes pas retourner chez l'oncle Sam. Ainsi, les petits américains peuvent en toute facilité aller se torchonner la gueule et se taper des putes là où c'est moins cher le vendredi soir. Et ils ont pensé à tout, on soigne les gueules de bois sur le chemin du retour, dans les gros pick up ou les hybrides bien propres dans la longue, très longue file d'attente qui finira par ramener ces chères brebis égarées au pays de la Liberté. Nous, on passe la frontière à pieds par des portes anti-retour.
On se rend vite compte que tout ce qu'on a lu et entendu sur le passage de cette frontière à vélo est un beau ramassis de foutaises. On obtient nos six mois de visa sans encombres, même si il est vrai que ça facilite les choses de baragouiner trois mots d'espagnol. La circulation en ville se fait sans difficultés malgré les gaz d'échappement qu'on ramasse plein la gueule. Au premier abord, une chose est sûre, Tijuana n'est pas la ville coupe gorge qu'on s'amuse à nous dépeindre. Bon c'est pas non plus ici qu'on a envie de passer quinze jours, faut rester honnête. 
On quitte la ville par les collines en suivant une déviation, on retrouve un beau bordel latin qui est le bienvenu. Kilomètre après kilomètre, on se dit que rouler au Mexique est plus que faisable. On quitte la ville en longeant la côte, longeant aussi ce mur de la folie construit entre les deux pays. Sur certaines portions, des croix par dizaines sont parfois installées à même le mur, symbolisant le nombre de candidats à l'immigration qui ont raté leur passage vers cette "Liberté ". 
On roule sur une sorte d'autoroute, des flics nous font signe de nous arrêter. On s'exécute. Très cordialement et poliment ils nous expliquent qu'on a pas le droit de rouler sur la portion suivante et nous accompagnent pour nous indiquer le chemin bis à suivre. Et vingt kilomètres plus tard nous voici à Rosarito, au sud de Tijuana. Refuge pour la nuit trouvé, on file manger notre premier repas mexicain sur une table en plastique en écoutant de la musique qui dégouline. Et puis ils ont le Wi-Fi dans ce resto, alors on commande une bière, on trinque, on se connecte et la nausée suivra.
On vocifère ensuite contre la stupidité de la race humaine, on reste coi et on commande une autre bière. J'ai eu à peu près le même sentiment de dégoût et d'incompréhension que le jour où 12 000€ d’amende avait été requis contre un prêtre Stéphanois pour avoir hébergé à titre gracieux des demandeurs d'asile. 
Depuis lors, le monde entier s'est remué et on a vu la France dans la rue depuis notre écran. Et malheureusement, je doute que ça éradique la connerie des hommes. On verra ça dans deux ans...
Quelques jours plus tard à Ensenada,  je parle de cette bien triste histoire avec le chauffeur de taxi qui nous conduit, nous et nos vélos désormais en cartons, à la gare de bus. Il me lance un "Oui c'est bien triste, sauf que chez vous, on tue 12 personnes et ça fait bouger le monde entier. Nous on en massacre 43, et rien ne se passe". Petit moment de solitude, je me suis sentie bien conne... 
Au milieu de tout ce marasme, on réalise qu'on a changé de pays, que notre séjour au US est enterré, qu'on est parvenu à pédaler la distance espérée, que c'est terminé, et que ça nous a rendu bien maussades de démonter nos vélos.  2015 commençait pourtant bien, à peine entamée et déjà 3200km au compteur...
Nous voici désormais à Cancún. Après avoir bien réduit notre impact carbone ces derniers mois, on a décidé de prendre un vol interne histoire de ne pas passer pour des écolos intégristes. Et la bonne nouvelle c'est que dans trois dodos, Dame Marie et Monsieur Raymond - mes chers parents pour ceux qui ne les connaissent pas - débarquent dans le Yucatán se mettre les miches au chaud.
On va donc laisser nos petits cuisseaux se reposer et profiter du climat plutôt sympathique de la région. Sur ces belles paroles, on vous souhaite une très belle année quand même et on vous embrasse.